En
pénétrant dans la boutique de la rue de la République, on peut
facilement imaginer les jeunes pernoises du XIXe choisir sur les étals
les tissus qui serviront à confectionner leur trousseau ou les caracos,
fichus et autres tabliers qui viendront parfaire leur tenue. Les
pernoises ont du style. Elles étaient les égéries du costume comtadin
avant que la mode parisienne ne vienne tout uniformiser au début du XXe
siècle et elles le sont encore aujourd’hui lorsque, tous les 4 ans, la
ville tout entière se met à vivre à la mode du XIXe pour les fêtes du
patrimoine. C’est comme ça que le Conservatoire du Costume Comtadin est
né, en 2005 : « Lorsque mon mari était maire de
Pernes-les-Fontaines, il trouvait que lors des fêtes du patrimoine, les
gens se déguisaient plutôt que de se costumer, se souvient Sylvette Gabert.
Il m’a dit : « ça ne va pas, il faut que tu fasses quelque
chose ». Nous avons donc monté une association pour aider les gens Ã
se costumer. J’ai toujours été passionnée de couture et j’ai appris sur
le tas et en effectuant des recherches tout ce qu’il fallait savoir sur
le costume comtadin ».
En rencontrant Sylvette Gabert, on
comprend très vite qu’elle n’est pas femme à faire les choses à moitié.
Très rapidement avec l’association, elles ont pris les choses en main,
en créant la Maison du Costume et le magasin, en récupérant des pièces
anciennes à conserver dans leurs collections, en organisant des ateliers
de couture et de restauration de vêtements. L’association organise
alternativement, une année sur deux, les expositions hors les murs à la
chapelle des pénitents blancs et les défilés Costumes de Provence en fête.
Le prochain aura lieu en septembre sur le thème du chapeau et
rassemblera, comme a son habitude, une centaine de mannequins venus de
toute la région. L’association évolue dans un bouillonnement permanent. A
partir des dons, des achats, des prêts, les thèmes des manifestations
s’imposent et les vitrines du musée se garnissent.
C’est par un boutis du XVIIIe siècle, donné au Conservatoire, que la visite commence. A ne pas confondre avec le piqué : « Le piqué, c'est un tissu de dessous, une couche de ouate et un tissu de dessus piqué selon des motifs. Quant au boutis, c'est un tissu de dessous et un tissu de dessus piqués selon des motifs, lesquels sont bourrés avec des mèches de coton. Ainsi, pour un ouvrage de 80 centimètre sur 30 avec le même motif, un ouvrage piqué nécessite 26 heures de travail, alors qu'un boutis, il en faut 260. Donc lorsque vous voyez un boutis sur le marché à 30 €, c’est que ça n’en est pas un » s’amuse Sylvette. Celui-ci est remarquablement conservé. Ses motifs de grenade, symbole de la fécondité, font penser à Sylvette qu’il a été fabriqué à l’occasion d’un mariage ou d’une naissance. Au fil de la visite, la composition du costume se dévoile. Il y a la chemise, le corset, le ou les jupons selon la température et le rang social, le caraco, la jupe, le fichu sur les épaules et l’indispensable tablier. « Il y a toujours un tablier car il cache l’ouverture de la jupe ou de la robe qui se situe devant. Il peut être en soie de la même couleur que la robe ou plus rustique pour les paysannes, mais il est toujours là », explique Sylvette. Et il y a, enfin, un élément fondamental qui est la coiffe à la grecque, froncée au niveau du chignon. Apparue au début du XIXe, c’est elle qui distingue le costume du comtat Vénaissin avec celui des régions de Provence.
En tout, près de 4000 pièces composent les collections du Conservatoire. Parmi ces nombreux objets, le clavier, un petit crochet qui s’attache à la taille et au bout duquel les femmes laissaient pendre une paire de ciseaux. « A partir du moment où les jeunes filles étaient assez grandes pour tenir une aiguille, elles fabriquaient leur trousseau. Une fois mariée, leur mari ajoutait, aux côtés de la paire de ciseau, les clés de la maison ou de l’armoire, dont le contenu était très précieux, en signe de reconnaissance d’être maintenant la maîtresse de maison » ajoute Sylvette. Elle a en mémoire chaque pièce qui compose la collection, au point de reconnaitre au premier coup d’œil un caraco dont le motif est exactement identique à celui d’une jupe achetée 4 ans plus tôt. Chineuse et négociatrice hors pair, elle écume les antiquaires de la région et s’est même essayée aux enchères par téléphone. Elle est incontestablement la personne la mieux renseignée sur ce que contiennent les vieilles malles qui dorment dans les greniers de Pernes-les-Fontaines. Si Sylvette peut farouchement négocier le prix des robes, c’est grâce à sa botte secrète : la clique de couturières prête à réassembler des compositions complexes et à restaurer des ouvrages partis en lambeaux.
Dans la pièce de cette vieille maison de ville qui abritait autrefois les lapins, quelques couturières sont au boulot, chacune sur son ouvrage. Elles reproduisent fidèlement, à la main, des vêtements d’époque dont les patrons ont été reconstitués et ajustés, ou redonnent vie à des robes dont les tissus ont été rongés par le temps. La bonne humeur est de mise. Pour vous assurer leurs faveurs, flattez la comtadine. « Il faut 4 mètres de tissu pour avoir 1 mètre de jupe, lance Elise, une couturière de l’association à l’œil malicieux. Ensuite on fronce le tissu pour créer du volume. C’est le propre de la comtadine, d’être ronde, plantureuse. On dirait une grosse poule qui couve ses poussins. Le comtat était à 90% agricole alors les dames travaillaient au champ. Voyez madame Gabert, notre présidente a été choisie à l’image de la comtadine ! C’est elle qui s’occupe des mannequins » Sylvette, visiblement aguerrie à l’humour d’Elise, poursuit : « Quand on travaille une robe, je finis presque par voir la personne qui était dedans, entre sa taille, sa corpulence, sa poitrine. Lorsque la robe fait 51 centimètres de tour de taille, je fais de la chirurgie esthétique sur le mannequin pour pouvoir l'ajuster à la robe ! » Car bien entendu, chaque vêtement est fait sur mesure, ce qui rend les prêts et autres transactions quasi-impossibles. C’est la raison pour laquelle les couturières du conservatoire seront à n’en pas douter les mieux costumées des fêtes du patrimoine et c’est la raison pour laquelle celles et ceux qui voudraient obtenir un habit doivent d’abord manier l’aiguille. « Au début tout le monde faisait le même caraco, tout le monde se retrouvait habillé pareil. Ça m’énervait alors nous avons trouvé d’autres patrons, ajoute Sylvette. Tout le monde peut venir coudre avec nous, même les débutants bien sûr, car nous sommes là pour les aider à réaliser leur costume.» Avis aux amateurs, vous avez jusqu’en 2024 pour rejoindre Sylvette et sa bande et être prêt pour les prochaines fêtes du patrimoine !